La nature de la révolution d’octobre 1917

Le texte que nous présentons ici a servi de trame à une conférence sur « La nature de la révolution d’octobre 1917 », tenue au Moulin de Saint-Félix (Oise), à l’initiative de jeunes camarades.

Tout en étant rédigé, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un support à une communication orale, d’une heure trente environ. Il ne saurait donc prétendre à fournir une étude exhaustive de la révolution russe, comme nous le disons en entrée du texte. Nous nous sommes limités à la séquence février-octobre, et avons privilégié l’analyse en termes de rapports de classes et de forces politiques, l’enjeu étant la caractérisation de la révolution d’octobre.

Certains faits rapportés sont forcément, dans ce contexte, lapidaires.

Nous nous sommes appuyés sur un travail en cours, beaucoup plus détaillé, sur le cours de la révolution russe, qui devrait être publié début 2018 dans le cadre de la réédition augmentée de notre texte de 2011 : « Le cours historique de la révolution prolétarienne ».

Lire le texte complet : Nature_revolution_russe

 

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Marx sur le parti et les syndicats

Le texte reproduit ci-après a été publié dans l’organe social-démocrate allemand le Volkss­taat n° 17 du 27 novembre 1869. C’est une forme « d’interview » réalisée par Johann Hamann, syndicaliste métallurgiste, qui rendit visite à Marx en novembre 1869. Bien que n’étant pas écrit directement par Marx, ni n’employant la forme directe de transcription de l’interview, cet article n’a jamais été démenti par Marx. La revue de Pierre Monatte « La révolution prolétarienne » en publia la traduction française dans son numéro 23 (novembre 1926). Nous en avons repris la publication en ligne du site de la Critique sociale (http://www.critique-sociale.info/94/entretien-de-karl-marx-avec-j-hamann/).

Pour Marx, l’organisation permanente, qui forme la base de l’unification du prolétariat, c’est le syndicat ; celui-ci, par ses luttes et l’obtention de meilleures conditions de vie crée l’espace au sein duquel les conditions pour une éducation politique de la classe ouvrière est possible. La capacité à s’organiser en parti politique, elle, ne peut être que temporaire.

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 » Les syn­di­cats ne peuvent et ne doivent jamais dépendre d’une orga­ni­sa­tion poli­tique ; c’est ce que nous prouve clai­re­ment la déca­dence actuelle de notre syn­di­cat. C’est aussi l’opinion du plus grand écono­miste et écri­vain de notre époque, le doc­teur Karl Marx, maître de Las­salle, qui se trou­vait à Hanovre il y a peu de temps. Je n’ai pu m’abstenir de faire la connais­sance per­son­nelle de ce savant, et lui ai demandé une inter­view pour écou­ter ses conseils de grand inves­ti­ga­teur social et son juge­ment sur les syn­di­cats. Avec quatre amis, je me suis rendu chez lui, où notre entre­tien dura une heure et demie. Je n’en relève que les points principaux.

Ma pre­mière ques­tion au doc­teur Karl Marx était celle-ci : « Pour qu’ils soient capables de vivre, les syn­di­cats doivent-ils dépendre d’une orga­ni­sa­tion politique ? »

Il m’a répondu : « Les syn­di­cats ne doivent jamais être asso­ciés à un grou­pe­ment poli­tique ni dépendre de celui-ci ; autre­ment, ils ne rem­pli­raient pas leur tâche et rece­vraient un coup mor­tel. Les syn­di­cats sont les écoles du socia­lisme. Dans les syn­di­cats, les ouvriers deviennent socia­listes parce qu’ils y voient chaque jour, de leurs propres yeux, la lutte contre le capi­tal. Les par­tis poli­tiques, quels qu’ils soient, n’enthousiasment les masses tra­vailleuses que pas­sa­gè­re­ment, pour quelques temps seule­ment, tan­dis que les syn­di­cats les retiennent d’une façon durable, et ce sont eux seule­ment qui peuvent repré­sen­ter un vrai parti ouvrier et oppo­ser un rem­part à la puis­sance du capi­tal. La grande masse des tra­vailleurs, sans dis­tinc­tion de parti, a reconnu que sa situa­tion maté­rielle doit être amé­lio­rée. Si sa situa­tion maté­rielle s’améliore, le tra­vailleur peut se consa­crer davan­tage à l’éducation de ses enfants ; sa femme et ses enfants n’ont plus besoin d’aller tra­vailler à la fabrique ; lui-même peut exer­cer davan­tage son intel­li­gence et prendre soin de son corps ; il devient ainsi, sans même s’en dou­ter, socialiste. »

La deuxième ques­tion que je posai fut celle-ci : « Est-il utile que le syn­di­cat pos­sède son organe à lui ? » J’ai exposé que chaque mois nous lan­çons des cir­cu­laires pour faire connaître notre bilan et dis­cu­ter tout ce qui inté­resse par­ti­cu­liè­re­ment le syn­di­cat. Cepen­dant on nous reproche de dif­fé­rents côtés de mon­trer ainsi de la pré­somp­tion et de l’amour-propre, voire de com­mettre un péché contre l’organisation, etc.

Voici ce que me répon­dit Karl Marx : « Je ne suis pas étonné d’entendre de telles choses. Mais vous ne devez pas prendre garde à ces phrases-là. C’est pré­ci­sé­ment dans l’organe syn­di­cal, qui consti­tue le moyen de liai­son, qu’il faut dis­cu­ter le pour et le contre ; c’est là qu’il est pos­sible de s’occuper des salaires payés dans les diverses régions, du louage de tra­vail dans les diverses indus­tries ; seule­ment cet organe ne doit jamais être la pro­priété d’une seule per­sonne ; pour qu’il rem­plisse son rôle, il doit être la pro­priété de tous. Je n’ai pas besoin de vous le démon­trer. Les rai­sons en sont si claires que cha­cun doit com­prendre que c’est là une des condi­tions fon­da­men­tales de la pros­pé­rité des syndicats. »

            Telle est l’opinion d’un homme géné­ra­le­ment reconnu comme la plus haute auto­rité en matière d’économie poli­tique. Si quelqu’un dou­tait de l’authenticité de ces paroles, il n’aurait qu’à s’adresser direc­te­ment au doc­teur Karl Marx, Modena Villa, Mait­land Park, Londres. Marx s’est déclaré prêt à les confirmer.

Enfin, il nous a conseillé en outre de ne jamais nous atta­cher à des per­sonnes, mais uni­que­ment à la cause. « – Que vous importe, a-t-il dit, Liebk­necht, le doc­teur Schweit­zer ou moi-même ? Ce qu’il y a de vrai, c’est la cause ! »