Espagne : l’indépendance de la Catalogne est l’arbre qui cache la forêt de la lutte de classe.

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La perspective de création de nouveaux petits Etats en Europe n’est pas favorable aux intérêts du prolétariat. Au lieu d’aller vers une plus grande unification des territoires, des marchés, des législations sur le travail, des conditions de production, on assisterait à un morcellement plus grand, à la création de nouvelles frontières, de nouvelles monnaies nationales, de nouveaux appareils d’Etat avec tout ce que cela implique en termes de ponction par l’impôt pour alimenter bureaucraties et forces de répression.

D’un autre côté, dans le cas où une telle création peut mettre fin à l’oppression d’une nation par une autre, alors elle institue la perspective d’une plus grande démocratie en débarrassant le prolétariat d’une question qui fait obstacle à son émancipation. Depuis 1871, qui a marqué un apogée du mouvement de réunification (unités allemande et italienne), le nombre d’Etats en Europe n’a cessé de croître. La fin des empires ottoman, austro-hongrois, russe et allemand après la première guerre avait abouti à la création de nombreuses nations. La chute de L’URSS qui avait en partie reconstitué l’empire russe à la suite de la deuxième guerre mondiale a relancé ce processus.

Les remaniements politiques et géographiques issus de la chute des faux socialismes de l’Est ont donc abouti à la création de nouveaux Etats en Europe : Serbie, Croatie, Slovénie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Kosovo, Lettonie, Lituanie, Estonie, Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Slovaquie, République tchèque. Cependant, le but d’une grande partie de ces Etats – dont certains n’avaient jamais eu d’existence historique – qui est une condition fondamentale pour leur viabilité est l’adossement à l’Union Européenne sinon à la zone euro[1].

Pour le marxisme, le principe du droit à l’auto-détermination n’est pas un principe abstrait qui peut s’appliquer à n’importe quelle situation historique et à n’importe quel peuple. Il dépend de chaque situation géo-historique particulière et doit s’inscrire dans la politique du prolétariat international. Par le passé, par exemple, le parti prolétaire a dénié le droit à la nation tant aux Tchèques qu’aux Slaves du sud.

Ainsi l’expression « droit des peuples » ne signifie pas que n’importe quelle nationalité ou minorité ait la possibilité historique, à tout moment, de revendiquer et a fortiori d’obtenir son émancipation en tant que nation. Tout dépend des circonstances historiques. Du côté du prolétariat, l’appui à donner ou non à de telles revendications ne relève pas non plus de l’application d’un principe abstrait mais découle d’une analyse de la situation qui sera la plus favorable au prolétariat, et comme classe du territoire concerné et comme force internationale.

Par le passé, Marx et Engels considéraient deux éléments, qui pouvaient se combiner entre eux. Le premier concerne l’effet que pourrait avoir la libération d’une nation sur la nation dominante et les impacts sur l’équilibre international. Ainsi la lutte des irlandais contre la principale puissance capitaliste, l’Angleterre, ou la constitution de la Pologne, comme nation indépendante signifiant, au 19° siècle, un affaiblissement du tsarisme, rempart de la réaction en Europe. Le deuxième relève du combat pour la « conquête de la démocratie » ; en conquérant la république démocratique comme « ultime terrain de lutte » contre la bourgeoisie, le prolétariat élimine un obstacle sur le chemin de son autonomie comme classe et rend toujours plus évident l’antagonisme fondamental entre le capital et le travail, entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Ainsi, du point de vue du prolétariat, on peut avoir ou ne pas avoir ce droit, en tant que nation ; on peut décider de ne pas utiliser ce droit (et se satisfaire, par exemple d’une large autonomie ou décider de rejoindre un ensemble plus vaste) ; et, au sein de l’ensemble national, le parti prolétarien peut juger que la solution d’un état n’est ni propice, ni favorable à ses intérêts et se refuser à prendre part à la solution nationale. Naturellement, la question du rapport de forces, notamment au niveau international, est ici primordiale.

Tout au long de l’année 2017, en préparation du référendum du 1er octobre, on a vu circuler sur nombre de sites et blogs indépendantistes, y compris anarchistes ce qui est comique, le texte de Lénine de 1916 «  La révolution socialiste et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »[2]. Or il est une précision importante que donne Lénine quant à la différence entre disposer de ce droit et l’exercer.

« Le droit des nations à disposer d’elles-mêmes signifie exclusivement leur droit à l’indépendance politique, à la libre séparation politique d’avec la nation qui les opprime. Concrètement, cette revendication de la démocratie politique signifie l’entière liberté de propagande en faveur de la séparation et la solution de ce problème par la voie d’un référendum au sein de la nation qui se sépare. Ainsi, cette revendication n’a pas du tout le même sens que celle de la séparation, du morcellement, de la formation de petits Etats. Elle n’est que l’expression conséquente de la lutte contre toute oppression nationale. Plus le régime démocratique d’un Etat est proche de l’entière liberté de séparation, plus seront rares et faibles, en pratique, les tendances à la séparation, car les avantages des grands Etats, au point de vue aussi bien du progrès économique que des intérêts de la masse, sont indubitables, et ils augmentent sans cesse avec le développement du capitalisme. Reconnaître le droit d’autodétermination n’équivaut pas à reconnaître le principe de la fédération. On peut être un adversaire résolu de ce principe et être partisan du centralisme démocratique, mais préférer la fédération à l’inégalité nationale, comme la seule voie menant au centralisme démocratique intégral. C’est précisément de ce point de vue que Marx, tout en étant centraliste, préférait même la fédération de l’Irlande avec l’Angleterre à l’assujettissement forcé de l’Irlande par les Anglais. » (Nous soulignons)

Lénine relie explicitement ce droit à l’élargissement de la démocratie dans l’Etat, chose que n’avait absolument pas comprise Rosa Luxembourg dans son évaluation de la question nationale. Il ne s’agit donc pas d’une question abstraite, déconnectée de la lutte générale pour conquérir le « terrain de lutte » favorable au prolétariat, mais de favoriser les meilleurs choix pour lever les obstacles à l’expression de son autonomie de classe. De ce point de vue, la création d’un nouvel Etat catalan constitue une régression pour le prolétariat de Catalogne et d’Espagne, mais la non reconnaissance du droit à l’exercer crée un abcès de fixation durable sur la question nationale qui est tout autant préjudiciable à la lutte des classes.

Aujourd’hui, dans le monde entier, le prolétariat ne dispose d’aucune expression politique autonome. Partout il est à la remorque des partis bourgeois ou petits-bourgeois au sens large. Il n’empêche qu’une situation comme celle de la Catalogne aujourd’hui, en plein cœur de l’Europe, ne peut se régler à coups de citations de Rosa Luxembourg et de « ni-ni ». Le rappel nécessaire de la position internationaliste ne peut se résumer à un vœu pieux mâtiné d’indifférentisme. Qu’on le veuille ou non les « questions » catalane, flamande, écossaise vont continuer d’empoisonner le climat politique et social, qu’elles relèvent de revendications légitimes ou de calculs plus ou moins pertinents de la bourgeoisie européenne pour résoudre les questions accrues de la concurrence entre états rivaux.

Dans l’absolu, ces nouveaux Etats pourraient être économiquement viables. La plupart du temps, les revendications indépendantistes (Catalogne, Pays basque, Ecosse, Flandre Belge, …[3]) émanent de régions qui figurent parmi les plus riches de leurs pays respectifs ou disposent d’une rente associée à la production de matières premières capable de favoriser l’accumulation du capital et d’assurer les dépenses liées à l’Etat, comme le pétrole dans le cas de l’Ecosse. On ne peut cependant considérer leur économie propre comme une simple soustraction de l’ensemble national auquel ces régions appartiennent. Les inter-relations avec les autres régions, les Etats centraux et l’ensemble que constitue la Communauté Européenne, jouent un rôle fondamental dans leur position relativement plus avantageuse.

[1] Appartiennent à l’Union européenne et à la zone euro : la Tchéquie, la Slovaquie, la Slovénie, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie. L’Allemagne s’est réunifiée avec sa partie orientale. Le Monténégro, candidat à l’Union européenne a adopté l’euro unilatéralement. La Croatie a adhéré à l’Union européenne. Le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, La Serbie sont candidats à l’adhésion. L’Ukraine et la Moldavie sont de potentiels candidats mais font l’objet de tractations avec la Russie.

[2] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm

[3] Le cas de l’Italie du Nord est différent.


SOMMAIRE :

1.             La question nationale en Europe.. 3

2.            Le projet d’indépendance de la Catalogne.. 6

3.            Les partis en présence.. 10

4.            Pour une position autonome du prolétariat.. 13

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Telefonica – Un bilan de la grève

Présentation

Nous publions ici la traduction en français d’une tribune publiée sur le site espagnol : https://www.diagonalperiodico.net/la-plaza/27290-la-huelga-se-demuestra-parando.html le 16 juillet dernier. Les auteurs reviennent sur la dynamique qui a permis la mobilisation et rendent compte de la difficulté à unifier différentes couches prolétaires que l’évolution même de la grande entreprise capitaliste a séparé en de multiples entités. Si les syndicats « officiels » ne font rien pour dépasser cette situation, il ne faut pas attendre mieux des petits syndicats dits « alternatifs » qui ont cherché, de leur côté, à profiter de la grève pour renforcer leur position. Le chemin de l’unité de la classe prolétarienne est difficile, surtout dans une situation historique où le combat avait été totalement déserté par les organisations syndicales et où la bourgeoisie multiplie les attaques, y compris la répression contre les travailleurs.

Dans un communiqué publié le 7 septembre (http://teleafonica.blogspot.fr/2015/09/reunion-de-comites-de-empresa-de.html) à la suite d’une réunion des comités à Barcelone, la coordination écrit :

« Nous avons également commenté la nécessité, pour la « marée bleue » (1) de se constituer en syndicat, avec les mêmes attributions qu’une organisation syndicale, mais nous voyons que c’est un processus encore débutant et de plus nous ne souhaitons pas que ceci soit interprété comme une volonté de compétition dans l’espace syndical avec d’autres organisations syndicales ; il s’agit de jouer un rôle catalyseur et de rassemblement des différents sigles et courants syndicaux partisans de la mobilisation pour changer les choses de manière substantielle. Ainsi, pour le moment, nous ne forcerons pas le pas pendant le mois qui vient. »

Selon notre vieux mot d’ordre, « L’émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre de la classe ouvrière elle-même » et il est très important que des travailleurs qui ont mené une grève longue et dure en affrontant aussi bien les syndicats aux ordres (ici l’UGT et les CC.OO), le patronat que l’Etat et sa répression anti-syndicale (une récente étude de la Confédération Syndicale Internationale a pointé l’Espagne comme un des pays du monde où les droits syndicaux ont le plus reculé ces dernières années), prennent en charge le besoin d’organisation durable pour construire un rapport de forces qui débouche sur une défense ferme des intérêts du prolétariat.

Mais ceci ne pourra pas se faire en se limitant à une seule branche de production (les télécommunications), même si elle représente un secteur développé du prolétariat. D’une part parce que l’évolution de la branche a renvoyé une partie des prolétaires vers un statut de « travailleurs indépendants », d’autre part parce que tout enfermement dans une corporation donnée est mortifère, et ensuite parce que les enseignements de la lutte des travailleurs de Telefonica sont transposables à d’autres secteurs qui pratique la cascade de sous-traitance comme le transport, le bâtiment… Les ex-grévistes de Telefonica auraient tout intérêt à ouvrir leurs comités de lutte à d’autres secteurs et à commencer à fédérer les réactions des prolétaires à l’accroissement considérable de l’exploitation dont ils font l’objet.

De ce point de vue, l’expérience brésilienne du mouvement « Intersindical« , qui développe depuis des années, de manière systématique, opiniâtre, décidée, un mouvement syndical défendant les intérêts de classe en dehors de tout compromis avec le patronat et l’État, et en luttant contre les syndicats jaunes vendus au pouvoir (CUT, Força sindical…) est un exemple à faire connaître aux ouvriers d’Europe.

Si certains phénomènes révélés par la grève des sous-traitants de Telefonica s’avéraient significatifs de l’évolution du mode de production capitaliste dans les pays aujourd’hui els plus développés, ils mériteraient une attention toute particulière.

Telefonica employait en Espagne plus de 80 000 salariés dans les années 90. Il avait alors le monopole des télécommunications. Aujourd’hui il emploie moins de 30 000 salariés. Dans le même temps, l’entreprise s’est implantée dans une vingtaine de pays et emploie à l’échelle mondiale plus de 120 000 salariés. L’entreprise devenue multinationale n’a cessé d’accumuler le capital et d’accroître le nombre des salariés qui dépendent d’elle directement. Cela témoigne d’un processus de concentration et de centralisation du capital. Le développement de Telefonica à l’échelle mondiale s’est notamment fait par le rachat d’entreprises en s’appuyant notamment sur les profits de monopole qu’il a su relativement bien maintenir – même s’ils s’érodent continuellement – appuyant ainsi sa réorientation stratégique.

Ce type de stratégie, Telefonica n’est pas le seul à l’avoir suivi ; France Telecom dont le chiffre d’affaires mondial est plus petit que celui de Telefonica a suivi un chemin similaire.

Donc, si à l’échelle mondiale, concentration et centralisation du capital continuent leur progression, il n’en va pas même en Espagne où les effectifs ont diminué drastiquement. Outre l’arrivée de nouveaux concurrents (notamment dans la téléphonie mobile et l’Internet) qui érodent les parts de marché de Telefonica et les restes de son monopole, les gains de productivité qui diminuent le temps de travail nécessaire pour nombre d’activités et qui sont autant de facteurs qui limitent le nombre d’emplois directs ou indirects dépendant du chiffre d’affaires de Telefonica, l’entreprise a eu recours à la sous-traitance des activités liées à l’installation et au branchement des clients.

Cette sous-traitance, compte tenu des prix de premier niveau (les prix accordés par Telefonica aux entreprises de premier rang avec qui elle contracte) supposerait des entreprise sous-traitantes extrêmement productives (ou des entreprises délocalisées dans des pays où le niveau général de la productivité du travail est plus bas et avec elle la valeur des marchandises telle qu’elle s’exprime sur le marché mondial[1]) pour espérer obtenir un profit en rapport avec le profit moyen obtenu par les divers capitaux. Comme ce haut niveau de productivité n’est pas réellement atteignable, il s’agit d’activités de services matériels (chaque client local est à la fois un cas général et un cas particulier) avec une très grande part de main d’œuvre, l’organisation de la sous-traitance, sous le regard bienveillant de Telefonica et de l’Etat, a évolué vers une pyramide de sous-traitance avec schématiquement trois niveaux. Les sous-traitants contractants au premier rang, des entreprises sous-traitantes de deuxième rang, contractant des précédents. Ces sous-traitants sont encore des entreprises exploitant des salariés ; les premières étant généralement d’une taille supérieure aux autres. Enfin, avec le troisième niveau de sous-traitance on trouve une kyrielle de très petites entreprises composées de travailleurs indépendants qui n’emploient que très peu ou pas de salariés permanents.

Avec le développement significatif de ces petites entreprises composées d’un travailleur indépendant ou sans salariés permanents, nous constatons un processus inverse à celui observé à l’échelle mondiale.

Le développement des petites (moyennes) entreprises et a fortiori si elle s’accompagne de la dissolution du salariat sont une des modalités par lesquelles passe le déclin relatif des pays capitalistes aujourd’hui les plus développés. En règle générale[2], plus l’entreprise est petite, plus la valeur ajoutée par salarié est faible. Depuis longtemps la classe politique s’enthousiasme pour la petite et moyenne entreprise qui serait désormais la seule à créer des emplois. Quant au travail indépendant, il a l’énorme avantage d’échapper aux contraintes que posent encore les lois sur les salariés. Ici, la durée du travail n’a pas de limites, les conditions de travail et la sécurité peuvent être quelconques, le revenu peut baisser sans retenue.

Il se reforme donc une classe hybride qui n’est plus prolétaire au sens strict du terme (elle n’est plus salariée par le capital) mais dont l’histoire comme la sujétion en général à un seul donneur d’ordre conduisent à des conditions d’existence inférieures à celle du prolétariat à l’instar de ce que vivent depuis toujours certaines couches de la paysannerie. Mais tandis que la paysannerie recule avec l’avancée du mode de production capitaliste, la cohorte des petites entreprises s’accroît, tandis que les différences sociales se creusent.

De ce point de vue, les grèves des sous-traitants posent bien des questions quant à l’évolution du capitalisme moderne et à la démarche pour rallier sur des objectifs strictement prolétariens ces nouvelles classes moyennes qui relèvent pour une part d’un semi prolétariat et pour une autre part de classes mieux connues (le petit patronat, la classe moyenne ancienne).

Dans la critique du programme de Gotha Marx écrivait :

« Dans le Manifeste communiste, il est dit : « De toutes les classes qui, à l’heure présente, s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique.»

La bourgeoisie est ici considérée comme une classe révolutionnaire, – en tant qu’elle est l’agent de la grande industrie, – vis-à-vis des féodaux et des classes moyennes résolus à maintenir toutes les positions sociales qui sont le produit de modes de production périmés. Féodaux et classes moyennes ne forment donc pas avec la bourgeoisie une même masse réactionnaire.

D’autre part, le prolétariat est révolutionnaire vis-à-vis de la bourgeoisie parce que, issu lui-même e la grande industrie, il tend à dépouiller la production de son caractère capitaliste que la bourgeoisie cherche à perpétuer. Mais le Manifeste ajoute que «les classes moyennes… sont révolutionnaires… en considération de leur passage imminent au prolétariat ».

De ce point de vue, c’est donc une absurdité de plus que de faire des classes moyennes, conjointement avec la bourgeoisie, et, par-dessus le marché, des féodaux « une même masse réactionnaire » en face de la classe ouvrière.

Lors des dernières élections, a-t-on crié aux artisans, aux petits industriels, etc., et aux paysans : « Vis-à-vis de nous, vous ne formez, avec les bourgeois et les féodaux, qu’une seule masse réactionnaire » ? (Marx, critique du programme du Gotha)

La question ne semble pas avoir perdu de son actualité.

[1] Et, comme nous allons le voir, ce sont les conditions de travail, de revenu et de durée du travail propres à ces pays qui vont du coup s’imposer dans les pays de vieux capitalisme.

[2] La réalité est beaucoup plus complexe et il en faut pas sacrifier au mythe de la PME tant rabâché par une certains littérature économique. Tout d’abord elles exploitent le salariat, d’autant plus férocement qu’elles doivent compenser les désavantages propres à leur faiblesse organisationnelle. En même temps, dans certains secteurs, on peut être leader mondial et être une entreprise moyenne ou petite par le nombre de salariés. L’expertise dans certains domaines est également un facteur de différenciation qui peut permettre d’esquiver la question de la taille et de la force du travail associé. Enfin, la petite entreprise a également une fonction de pionnier pour faire émerger l’innovation et le progrès technique.

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TEXTE :

La grève se prouve en arrêtant la production.

par Javier Marco López, Francesc Queralt

respectivement, travailleur chez un sous-traitant et membre du comité de grève, et travailleur et syndicaliste chez Telefónica.

Comment lutter contre l’exploitation au 21° siècle, au sein de la plus grande multinationale du pays (Telefonica-Movistar en Espagne, NDT), qui esquive toutes les lois ou les modèle à sa mesure ? Par l’unité de classe. Cette union, les techniciens des sous-traitants, sous-sous traitants et travailleurs indépendants pour Movistar l’ont réalisée par la grève. Les multinationales détruisent le personnel fixe pour leur substituer une main d’œuvre bon marché, sans droits ni représentation syndicale. Mais leur stratégie pour empêcher la lutte commune dans ce secteur n’a pas fonctionné. La spirale de la précarisation leur a explosé entre les mains sous la forme de la « révolution des échelles » (2).

Le 17 mars (2015 NDT) à Madrid, un groupe de techniciens ont convoqué, par WhatsApp, une assemblée ouverte de travailleurs sous-traitants ou indépendants de Movistar, pour se mobiliser et freiner la négociation à la baisse du contrat entre Movistar et ses sous-traitants, qui allait provoquer une baisse de revenus des indépendants et sous-traitants de 25%. Lors de l’assemblée, qui réunit presque 600 personnes, il fut décidé de convoquer une grève illimitée à Madrid contre Movistar, qui fut suivie dès le départ à 90%. La grève mobilisa différents collectifs connaissant des conditions des travail différentes, mais avec un même objectif : que Movistar et ses entreprises cessent de traiter leurs travailleurs comme des esclaves.

L’information sur Madrid se diffusa rapidement sur les réseaux sociaux. Le travail syndical réalisé auparavant et l’adéquation des objectifs de la grève avec ceux de tous les collectifs impliqués rendit possible l’extension du conflit à l’échelle nationale. Il s’établit une coordination formée par des membres de chaque province du personne des sous-traitants, sous-sous traitants et indépendants.

Malgré le rythme vertigineux de la grève – qui a rendu difficile la coordination et la prise de décisions tactiques -, de l’absence d’une caisse de résistance préalable, de la fermeture de quelques-unes des organisations appelant à la grève – qui, dans la pratique paraissaient en compétition entre elles pour recueillir les fruits de la grève – celle-ci a pris de manière solide pendant 85 jours à Madrid et 75 dans le reste du pays, en créant des assemblées qui peuvent être le germe d’une nouvelle organisation permanente.

Cette Marée bleue (2), toujours active, demande à ne pas travailler plus de 40 heures par semaine, deux jours de repos par semaine et des salaires qui ne soient pas basés sur la production et qui permettent de satisfaire les besoins vitaux – il y a aujourd’hui des techniciens qui gagnent 600 ou 800 Euros). On demande aussi que les camarades qui ont été licenciés pour être convertis en faux indépendants ou pour travailler chez les sous-sous-traitants soient réincorporés dans le personnel des dix entreprises principales (3).

Ce mouvement a été un peu « quinzemaïesque » (4) par sa spontanéité initiale, l’adoption de formes agiles de communication.

Ces conditions sont celles d’une bonne partie du monde du travail. Dans un tel contexte, comment pourrait se déclencher une grève générale ? Si le mouvement se démontre en marchant, la grève se démontre en arrêtant et affectant la production. Par conséquent, il est nécessaire que la classe travailleuse active l’appuie et que l’inactive (chômeurs, étudiants et retraités) participe aux actions de protestations et de boycotts publics proposés. La deuxième partie apparaît plus accessible, mais elle ne peut exister de manière indépendante. Sans une forte participation des travailleurs et travailleuses à la grève, la grève sociale (5) perd une grande part de son souffle et de sa légitimité face à d’éventuelles répressions. Elle apparaît aussi comme un passe-temps pour révolutionnaires professionnels.

Ceci implique que peut-être il conviendrait de reconnaître que le travail de base du syndicalisme alternatif n’est pas suffisamment développé. Ou qu’il n’avance pas dans la direction adéquate, vers la configuration d’une force mobilisatrice indépendante des syndicats officiels, ceux que l’on ne peut pas considérer comme acteurs du changement social, sans omettre pour autant que toute stratégie mobilisatrice doit impliquer leurs bases.

Les syndicats dits alternatifs ont échoué dans la création d’une alternative mobilisatrice. Et certainement pas tant en raison de facteurs externes – presse et lois hostiles, répression, etc.- qu’en fonction de leurs propres erreurs : reproduction du clientélisme, sectarisme, accommodements, installation dans le « non » systématique probablement par incapacité – ou paresse – à réaliser le travail nécessaire pour construire une nouvelle organisation, confusion des moyens et des fins – élections syndicales comme repères…-. Il existe heureusement d’honorables exceptions, et toujours plus nombreuses, mais insuffisantes pour déclencher une vague de grande ampleur.

Analyser la grève des techniciens en la resituant dans ce contexte général peut être un bon exercice de débat qui contribue à dépasser les difficultés ou les limites à la mobilisation que nous avons actuellement. « Notre » grève a eue un développement distinct des dynamiques habituelles de mobilisation. Le principal élément différenciateur fut le caractère assembléiste de ce mouvement syndical, sans forme et volontairement dépouillé de sigles et drapeaux. Les syndicats appelant aux mobilisations l’ont fait sur instruction des assemblées, et les tentatives d’appropriation ont été fortement dénoncées.

Cela a été un mouvement un peu « quinzemaïesque » (4) de par sa spontanéité initiale, l’adoption de formes agiles de communication, le caractère massif de la participation à la lutte… Mais l’étincelle initiale a rencontré un terrain favorable, avec un large travail syndical de fond, mené sur des positions qui n’avaient rien d’auto-propagandiste ni de clientéliste. Sans ce travail préalable, une grève nationale qui englobe autant d’entreprises et des groupes aussi différents quant à leurs conditions de travail et de salaire, aurait pu difficilement se matérialiser. Le discours et le travail pour unifier les conditions, la demande « à travail égal, salaire égal », firent que la revendication initiale concernant le contrat commercial entre Telefonica et les sous-traitants, est devenu anecdotique par rapport à la totalité du mouvement. Ce qui a été revendiqué c’était la réintégration au personnel des sous-traitants, avec en ligne de mira une future lutte nécessaire pour obtenir la fin de la sous-traitance et le passage au personnel fixe de Telefonica, la maison-mère.

Dans cette grève, on a retrouvé des éléments semblables aux dynamiques habituelles de mobilisation, chez les organisations alternatives – les mêmes qui convoquaient la grève générale illimitée chez les sous-contractants à la demande du précariat sur le pied de guerre – à l’intérieur de Télefonica, comme entreprise-mère.

L’absence d’un travail préalable constant, la tentative de capter les luttes seulement au moment où elles se déclenchent, l’absence de discours cohérent envers le personnel de Telefonica a fait que ce dernier a été incapable de voir l’opportunité historique d’unifier les objectifs ; de voir la relation directe qu’il y a entre les personnels qui travaillent pour le même patron, et de récupérer le pouvoir de la grève d’affecter la production.

Par chance, la grève des sous-traitants a fait tomber les barrières et nous place en meilleure situation pour continuer la lutte.
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(1) De la couleur des chemisettes de travail des sous-traitants de Movistar. Depuis le mouvement des « indignés » en 2011, le mouvement social s’est structuré en « marées » de couleur (blanc pour la santé, vert pour l’enseignement…) arborées lors de grandes manifestations, mais ceci contribue aussi à fragmenter par grands thèmes un mouvement dont l’ennemi est toujours le même : le capital et son Etat (NDT)

(2) « Revolucion de las escaleras » est la dénomination sous laquelle les installateurs de lignes téléphoniques, qui se déplacent toujours avec une échelle en bois ont désigné leur mouvement (NDT)

(3) Telefonica-Movistar a organisé une pyramide avec dix sous-traitants principaux qui eux-mêmes sous-traitent à une myriade de petites entreprises et à des milliers de travailleurs « indépendants » du type « auto-entrepreneurs » (NDT)

(4) Nous traduisons ainsi le néologisme « quincemero » qui figure dans le texte et qui fait référence au « 15-M », le mouvement populaire dit des « indignés » qui envahit toutes les places d’Espagne à partir du 15 mai 2011.

(5) Les grévistes du mouvement de 2015 parlaient de « grève sociale » pour désigner l’élan de solidarité et la mobilisation autour de leur mouvement, un peu comme on parlait de « grève par procuration » en 1995 en France.

Sur la grève de « Telefonica » en Espagne

La grande majorité des ouvriers travaillant pour les sous-traitants de Telefonica, l’opérateur historique des télécommunications en Espagne, est en grève illimitée depuis le 7 avril dans tout le pays, la grève ayant commencé à Madrid le 28 mars.

L’Espagne, comme la Grèce, le Portugal et l’Italie, est confrontée à des mesures d’austérité anti-ouvrières draconiennes auxquelles s’ajoutent des lois favorisant une répression très dure des mouvements sociaux. Le capital cherche à faire baisser de manière drastique le prix de la force de travail pour rendre le pays « compétitif ». Dans le secteur des Télécommunications, un système d’échelon de sous-traitance qui va jusqu’au travailleur faussement « indépendant » qui est souvent un ouvrier licencié des entreprises sous-traitantes, a permis de baisser les coûts salariaux qui n’excèdent pas 6 à 800 Euros bruts pour les ouvriers du dernier échelon, pour des journées de travail de 10 à 12 heures sur 7 jours.

Lorsque Telefonica a exigé que les contrats passés pour 2015 soient revus à la baisse de 35%, une première grève spontanée a éclaté à Madrid puis s’est répandue dans tout le pays. Le mouvement est géré par des comités de grèves et des assemblées générales qui disent aux syndicats majoritaires : « vous ne nous représentez pas ». CCOO et UGT font tout pour saboter la grève, y compris, le 7 mai en levant les préavis, alors que la majorité des grévistes ne suit pas les consignes syndicales.

Le texte que nous avons traduit, après une rencontre avec les grévistes à Barcelone le 1er mai, a été publié par un gréviste sur le blog de la lutte (www.teleafonica.net) et traduit par nos soins. Nous le livrons comme un témoignage d’une lutte ouvrière qui doit affronter la dispersion en centaines et milliers d’entités, en privilégiant les formes d’organisation qui favorisent l’autonomie de la classe prolétarienne (même si, dans une situation en partie nouvelle, nous avons aussi à faire ici à des prolétaires qui ont été poussés à prendre un statut de travailleur « indépendant »).

Chronique d’une grève illimitée