Le commentaire ci-dessous a été adressé sur Facebook à une personne qui nous posait la question suivante : « Absolument d’accord pour la dictature prolétarienne, mais quand je lis « planification pour répartir la force de travail » ou « passage entre les mains de l’État des grandes entreprises » ou encore « augmentation de la productivité » j’ai l’impression que l’on repropose une gestion alternative du capitalisme plutôt que l’abolition de la marchandise et du salariat… Alors oui c’est le « demi-état », mais est-il hérétique de penser que l’on pourrait faire à moins de la transition? «
Nous jugeons important de donner les grandes lignes de ce que pourrait être un « programme » révolutionnaire, qui ne se limite pas aux grandes incantations sur les conseils ouvriers ou la dictature du prolétariat. Si Marx et Engels se refusaient à lire dans les « marmites de l’avenir » pour ce qui était de la société communiste, ils ont toujours prêté une grande attention à la nature des mesures qu’il fallait prendre dans le cours des révolutions. Cela commence par les mesures énoncées à la fin du Manifeste du Parti communiste, et dont une partie a été réalisée, depuis lors, par la bourgeoisie elle-même jusqu’aux critiques des programmes de Gotha (1874) et Erfurt (1891) ou du P.O.F. Pour cette raison, nous avons fait figurer une série de mesures à la fin du livre « Le marxisme en résumé », que nous avons ensuite reclassées par grands thèmes dans le texte concernant le mouvement du printemps 2016. Une partie d’entre elles est directement reprise de ces écrits historiques. Dans la question que tu soulèves, il y a deux aspects qui sont intéressants à développer. L’un concerne la nature de l’État prolétarien et son rôle, l’autre la façon dont une société en transition vers le socialisme (dictature du prolétariat) s’organise pour briser les rapports de production existants et comment elle se situe en rupture avec les modes de gestion capitalistes. Nous traiterons surtout de ce dernier point. Il est vrai que dans la quinzaine d’éléments que nous avançons, il y a des choses hétérogènes et qui ne sont pas au même niveau.
On peut les classer en trois catégories :
1°) les REVENDICATIONS, qui pourraient être satisfaites par un gouvernement bourgeois et dont la réalisation déblaie le terrain pour un affrontement encore plus direct entre le prolétariat et la bourgeoisie. C’est la logique de la révolution permanente défendue de manière récurrente par Marx et Engels. A la limite, certaines de ces revendications sont énoncées par des partis bourgeois et défendues aussi par le parti prolétarien, sans jamais bien sûr qu’il ne se compromette auprès de ces partis. C’est ce que défendait Engels dans sa lettre à Gerson Trier du 18/12/1889 :
« Mais nous sommes d’accord sur le fait que le prolétariat ne peut conquérir sans révolution violente le pouvoir politique, seule porte donnant sur la société nouvelle. Pour qu’au jour de la décision le prolétariat soit assez fort pour vaincre et cela, Marx et moi nous l’avons défendu depuis 1847 , il est nécessaire qu’il se forme un parti autonome, séparé de tous les autres et opposé à eux tous, un parti de classe conscient.
Cela n’exclut pas, cependant, que ce parti puisse momentanément utiliser à ses fins d’autres partis. Cela n’exclut pas davantage qu’il puisse soutenir momentanément d’autres partis pour des mesures qui représentent ou bien un avantage immédiat pour le prolétariat, ou bien un progrès dans le sens du développement économique ou de la liberté politique. Pour ma part, je soutiendrais quiconque lutte véritablement en Allemagne pour l’élimination de la succession par ordre de primogéniture et d’autres survivances féodales, de la bureaucratie, des droits de douane, des lois de répression contre les socialistes, des restrictions au droit de réunion et d’association. Si notre parti allemand du progrès [20] ou votre Venstre danois [21] étaient de véritables partis bourgeois radicaux, et non de simples regroupements de misérables bavards qui, à la première menace de Bismarck ou d’Estrup, se mettent à ramper, je ne serais absolument pas inconditionnellement contre tout cheminement momentané avec eux pour certains buts précis. Si nos parlementaires votent pour un projet qui émane de l’autre côté et c’est ce qu’ils sont obligés de faire assez souvent , n’est-ce pas déjà un pas ensemble ? Mais je n’y suis favorable que lorsque l’avantage est direct pour nous, ou indubitable pour le développement historique du pays en direction de la révolution économique et politique, c’est-à-dire en vaut la peine, et à la condition préalable que le caractère prolétarien de classe du parti n’en soit pas affecté. C’est ce qui est pour moi la limite absolue. Cette politique, vous la trouverez développée dès 1847 dans le Manifeste communiste, et nous l’avons suivie partout, en 1848, dans l’Internationale. »
Ici, le rôle de l’État prolétarien, lorsqu’il a en mains les leviers, est de mettre en place rapidement ce pour quoi la bourgeoisie tergiverse ou a même renoncé.
2°) des MESURES immédiates qui ne pourront être prises, au contraire que par un semi-Etat prolétarien parce qu’elles supposent immédiatement ces « incursions dans la propriété privée » dont parlait Marx et par conséquent sont une déclaration de guerre totale à la bourgeoisie. Leur application suppose la prise du pouvoir ; elles peuvent aussi jouer un rôle dans le développement de la dynamique révolutionnaire.
3°) des TENDANCES à mettre en place et dont le déploiement et la réalisation sanctionneront la rupture irréversible avec a logique des rapports de production capitalistes. Ici le rôle de l’État est de favoriser la mise en place de nouveaux rapports de production, sachant évidemment que c’est au prolétariat et à ses organisations de masses (conseils et syndicats) de pousser cette dynamique à partir du socle concret de la vie réelle dans les sphères du travail, de l’éducation, de l’habitat… De ce point de vue, il est vrai que notre formulation sur la productivité du travail peut paraître ambiguë. Il vaudrait mieux écrire : « mise en place d’une organisation collective de la production qui favorise l’essor de la productivité du travail, afin de diminuer le temps de travail et d’augmenter le volume des moyens de consommation mis à disposition des travailleurs ».
(…)
Dans le mode de production capitaliste, le caractère social du travail ne s’affirme que par la médiation de l’échange marchand. Dans le communisme, l’activité est immédiatement sociale, ce qui change tout. Et sur la question du vocabulaire, nous sommes encore dans la contrainte de la société de classes. Ce que l’espèce se « distribue » ce ne sont plus des marchandises, pas non plus des « biens » si ce terme évoque trop la propriété ; alors parler de « moyens de consommation » (avec la distinction classique des « moyens de production ») est un pis-aller. On pourrait éventuellement dire « moyens de subsistance », pourquoi pas ?