Espagne : l’indépendance de la Catalogne est l’arbre qui cache la forêt de la lutte de classe.

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La perspective de création de nouveaux petits Etats en Europe n’est pas favorable aux intérêts du prolétariat. Au lieu d’aller vers une plus grande unification des territoires, des marchés, des législations sur le travail, des conditions de production, on assisterait à un morcellement plus grand, à la création de nouvelles frontières, de nouvelles monnaies nationales, de nouveaux appareils d’Etat avec tout ce que cela implique en termes de ponction par l’impôt pour alimenter bureaucraties et forces de répression.

D’un autre côté, dans le cas où une telle création peut mettre fin à l’oppression d’une nation par une autre, alors elle institue la perspective d’une plus grande démocratie en débarrassant le prolétariat d’une question qui fait obstacle à son émancipation. Depuis 1871, qui a marqué un apogée du mouvement de réunification (unités allemande et italienne), le nombre d’Etats en Europe n’a cessé de croître. La fin des empires ottoman, austro-hongrois, russe et allemand après la première guerre avait abouti à la création de nombreuses nations. La chute de L’URSS qui avait en partie reconstitué l’empire russe à la suite de la deuxième guerre mondiale a relancé ce processus.

Les remaniements politiques et géographiques issus de la chute des faux socialismes de l’Est ont donc abouti à la création de nouveaux Etats en Europe : Serbie, Croatie, Slovénie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Kosovo, Lettonie, Lituanie, Estonie, Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Slovaquie, République tchèque. Cependant, le but d’une grande partie de ces Etats – dont certains n’avaient jamais eu d’existence historique – qui est une condition fondamentale pour leur viabilité est l’adossement à l’Union Européenne sinon à la zone euro[1].

Pour le marxisme, le principe du droit à l’auto-détermination n’est pas un principe abstrait qui peut s’appliquer à n’importe quelle situation historique et à n’importe quel peuple. Il dépend de chaque situation géo-historique particulière et doit s’inscrire dans la politique du prolétariat international. Par le passé, par exemple, le parti prolétaire a dénié le droit à la nation tant aux Tchèques qu’aux Slaves du sud.

Ainsi l’expression « droit des peuples » ne signifie pas que n’importe quelle nationalité ou minorité ait la possibilité historique, à tout moment, de revendiquer et a fortiori d’obtenir son émancipation en tant que nation. Tout dépend des circonstances historiques. Du côté du prolétariat, l’appui à donner ou non à de telles revendications ne relève pas non plus de l’application d’un principe abstrait mais découle d’une analyse de la situation qui sera la plus favorable au prolétariat, et comme classe du territoire concerné et comme force internationale.

Par le passé, Marx et Engels considéraient deux éléments, qui pouvaient se combiner entre eux. Le premier concerne l’effet que pourrait avoir la libération d’une nation sur la nation dominante et les impacts sur l’équilibre international. Ainsi la lutte des irlandais contre la principale puissance capitaliste, l’Angleterre, ou la constitution de la Pologne, comme nation indépendante signifiant, au 19° siècle, un affaiblissement du tsarisme, rempart de la réaction en Europe. Le deuxième relève du combat pour la « conquête de la démocratie » ; en conquérant la république démocratique comme « ultime terrain de lutte » contre la bourgeoisie, le prolétariat élimine un obstacle sur le chemin de son autonomie comme classe et rend toujours plus évident l’antagonisme fondamental entre le capital et le travail, entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Ainsi, du point de vue du prolétariat, on peut avoir ou ne pas avoir ce droit, en tant que nation ; on peut décider de ne pas utiliser ce droit (et se satisfaire, par exemple d’une large autonomie ou décider de rejoindre un ensemble plus vaste) ; et, au sein de l’ensemble national, le parti prolétarien peut juger que la solution d’un état n’est ni propice, ni favorable à ses intérêts et se refuser à prendre part à la solution nationale. Naturellement, la question du rapport de forces, notamment au niveau international, est ici primordiale.

Tout au long de l’année 2017, en préparation du référendum du 1er octobre, on a vu circuler sur nombre de sites et blogs indépendantistes, y compris anarchistes ce qui est comique, le texte de Lénine de 1916 «  La révolution socialiste et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »[2]. Or il est une précision importante que donne Lénine quant à la différence entre disposer de ce droit et l’exercer.

« Le droit des nations à disposer d’elles-mêmes signifie exclusivement leur droit à l’indépendance politique, à la libre séparation politique d’avec la nation qui les opprime. Concrètement, cette revendication de la démocratie politique signifie l’entière liberté de propagande en faveur de la séparation et la solution de ce problème par la voie d’un référendum au sein de la nation qui se sépare. Ainsi, cette revendication n’a pas du tout le même sens que celle de la séparation, du morcellement, de la formation de petits Etats. Elle n’est que l’expression conséquente de la lutte contre toute oppression nationale. Plus le régime démocratique d’un Etat est proche de l’entière liberté de séparation, plus seront rares et faibles, en pratique, les tendances à la séparation, car les avantages des grands Etats, au point de vue aussi bien du progrès économique que des intérêts de la masse, sont indubitables, et ils augmentent sans cesse avec le développement du capitalisme. Reconnaître le droit d’autodétermination n’équivaut pas à reconnaître le principe de la fédération. On peut être un adversaire résolu de ce principe et être partisan du centralisme démocratique, mais préférer la fédération à l’inégalité nationale, comme la seule voie menant au centralisme démocratique intégral. C’est précisément de ce point de vue que Marx, tout en étant centraliste, préférait même la fédération de l’Irlande avec l’Angleterre à l’assujettissement forcé de l’Irlande par les Anglais. » (Nous soulignons)

Lénine relie explicitement ce droit à l’élargissement de la démocratie dans l’Etat, chose que n’avait absolument pas comprise Rosa Luxembourg dans son évaluation de la question nationale. Il ne s’agit donc pas d’une question abstraite, déconnectée de la lutte générale pour conquérir le « terrain de lutte » favorable au prolétariat, mais de favoriser les meilleurs choix pour lever les obstacles à l’expression de son autonomie de classe. De ce point de vue, la création d’un nouvel Etat catalan constitue une régression pour le prolétariat de Catalogne et d’Espagne, mais la non reconnaissance du droit à l’exercer crée un abcès de fixation durable sur la question nationale qui est tout autant préjudiciable à la lutte des classes.

Aujourd’hui, dans le monde entier, le prolétariat ne dispose d’aucune expression politique autonome. Partout il est à la remorque des partis bourgeois ou petits-bourgeois au sens large. Il n’empêche qu’une situation comme celle de la Catalogne aujourd’hui, en plein cœur de l’Europe, ne peut se régler à coups de citations de Rosa Luxembourg et de « ni-ni ». Le rappel nécessaire de la position internationaliste ne peut se résumer à un vœu pieux mâtiné d’indifférentisme. Qu’on le veuille ou non les « questions » catalane, flamande, écossaise vont continuer d’empoisonner le climat politique et social, qu’elles relèvent de revendications légitimes ou de calculs plus ou moins pertinents de la bourgeoisie européenne pour résoudre les questions accrues de la concurrence entre états rivaux.

Dans l’absolu, ces nouveaux Etats pourraient être économiquement viables. La plupart du temps, les revendications indépendantistes (Catalogne, Pays basque, Ecosse, Flandre Belge, …[3]) émanent de régions qui figurent parmi les plus riches de leurs pays respectifs ou disposent d’une rente associée à la production de matières premières capable de favoriser l’accumulation du capital et d’assurer les dépenses liées à l’Etat, comme le pétrole dans le cas de l’Ecosse. On ne peut cependant considérer leur économie propre comme une simple soustraction de l’ensemble national auquel ces régions appartiennent. Les inter-relations avec les autres régions, les Etats centraux et l’ensemble que constitue la Communauté Européenne, jouent un rôle fondamental dans leur position relativement plus avantageuse.

[1] Appartiennent à l’Union européenne et à la zone euro : la Tchéquie, la Slovaquie, la Slovénie, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie. L’Allemagne s’est réunifiée avec sa partie orientale. Le Monténégro, candidat à l’Union européenne a adopté l’euro unilatéralement. La Croatie a adhéré à l’Union européenne. Le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, La Serbie sont candidats à l’adhésion. L’Ukraine et la Moldavie sont de potentiels candidats mais font l’objet de tractations avec la Russie.

[2] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm

[3] Le cas de l’Italie du Nord est différent.


SOMMAIRE :

1.             La question nationale en Europe.. 3

2.            Le projet d’indépendance de la Catalogne.. 6

3.            Les partis en présence.. 10

4.            Pour une position autonome du prolétariat.. 13

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